héros sans gloire:la famille elmanouzi:une brave famille de la résistane d'amanouz
Houcine
Manouzi a vu le jour à Tafraout en 1943. Il descend d’une famille de
résistants, l’une des plus célèbres à travers tout le pays. Dans les
années 60, le jeune Houcine est un brillant syndicaliste qui milite au
sein de l’UMT, le premier syndicat du pays à l’époque. Politiquement,
Manouzi est membre de l’UNFP, très proche de l’aile dure incarnée par
Mehdi Ben Barka, et il figure parmi les fondateurs de la chabiba du
parti. Employé à la RAM en tant que mécanicien d’avion, il est renvoyé
pour ses activités politiques et décide, en 1966, d’émigrer en Europe.
Il gagne alors en notoriété puisqu’il devient l’un des premiers
encadreurs des MRE, surtout en Belgique, pays à forte communauté
marocaine. Son retour au pays en 1968 ne l’empêchera pas d’émigrer de
nouveau, cette fois en 1970, après la vague d’enlèvements qui a frappé
les rangs de l’UNFP. Pour les services marocains, Houcine Manouzi,
fiché et suivi depuis sa tendre jeunesse (à cause de son patronyme),
est un élément subversif qu’il convient de neutraliser au plus vite.
Outre son dynamisme, il est connu pour avoir tenté, en vain, de garder
la filiation naturelle entre l’UNFP et l’UMT. Cette filiation faisait
la force du parti de Ben Barka et, l’histoire l’a confirmé par la
suite, l’opposition n’a été réellement mise à genoux qu’à partir du
moment où le syndicat de Mahjoub Benseddik a effectivement "divorcé"
avec l’UNFP.
En 1971, le Maroc connaît deux événements majeurs : le
coup d’État manqué de Skhirat et, pratiquement dans le même temps, le
procès politique de Marrakech. Dans le coup d’État, Houcine Manouzi
perd un oncle, commandant d’armée, exécuté pour des raisons obscures
trois jours après la tuerie de Skhirat. À Marrakech, Houcine est tout
simplement condamné à mort - par contumace - pour atteinte à la sûreté
de l’État. Notons au passage que, quelques mois avant le procès de
Marrakech, pas moins de 18 membres de la famille Manouzi ont été
enlevés, à commencer par le père, un ami de longue date de Fqih Basri.
Après des séjours à Derb Moulay Chérif, ou dans l’un des fameux PF
(Points fixes, centres de torture et de détention secrète à la
disposition de la police politique), 11 membres du clan Manouzi sont
relâchés et 7 passent effectivement en jugement au procès de Marrakech.
Houcine Manouzi est alors un opposant en exil, qui fait l’objet d’une
condamnation à mort dans son pays. Il n’en reste pas moins actif, à
travers l’Europe et le Maghreb, essentiellement dans les milieux des
MRE. En 1972, ses activités clandestines le mènent à Tunis. L’un de ses
amis marocains, rencontré en Libye, est un policier déguisé en opposant
politique. C’est lui qui "vend" Houcine aux autorités marocaines.
Étrangement, c’est le 29 octobre 1972, jour du 7e anniversaire de
l’enlèvement de Ben Barka, que Houcine Manouzi sera à son tour enlevé à
Tunis. Drogué et "saucissonné", Houcine est plongé dans le coffre d’une
voiture diplomatique marocaine et convoyé par voie terrestre de Tunis
jusqu’à Rabat, avec l’aide des réseaux de contrebande communs à
l’Algérie et au Maroc. Arrivé à Oujda, Houcine, comme il le rapportera
plus tard à l’un de ses co-détenus, se réveille à peine de son
anesthésie générale quand il entend l’un de ses ravisseurs répondre au
talkie-walkie : "Prière de transmettre : Manouzi s’est infiltré
clandestinement au Maroc, on l’a arrêté"… À l’époque, détail important,
la police marocaine est contrôlée directement par Ahmed Dlimi et, de
loin, par le déjà célèbre Driss Basri, qui officie au cabinet du
ministre de l’Intérieur, Benhima.
Officiellement, Manouzi a disparu dans la nature depuis la nuit du 29
octobre 1972. En réalité, il fait la tournée des multiples PF dont
celui, fameux, de Dar El Mokri, communément appelé PF 2. Sa vie est
faite d’interrogatoires poussés et de séances de torture. Deux témoins
rendent compte, épisodiquement, du sort de Houcine à sa famille. En
1975, les nouvelles s’arrêtent et la famille commence à faire son
deuil. Jusqu’à ce jour du 13 juillet 1975 où, à la surprise générale,
treize policiers, dont une femme, font le siège du domicile des Manouzi
: "Houcine s’était évadé, bien que son nom n’ait jamais été évoqué
officiellement, se souvient aujourd’hui son frère Abdelkrim, médecin à
Casablanca. La famille a appris la nouvelle dans un mélange de joie et
de drame. Houcine évadé, c’était la preuve qu’il était vivant…". Tant
que les policiers faisaient le siège de la demeure familiale, les
Manouzi ont la preuve que leur fils, au moins, est en vie. Un jour, le
20 juillet, les policiers disparaissent. Il n’y avait aucun doute
possible : Houcine a été arrêté la veille. Pourtant, 28 ans après, en
2003, quand la famille reçoit la photocopie d’un certificat de décès
établi au nom du disparu, elle reste perplexe : Houcine serait mort,
d’après ce document non signé, le 17 juillet, soit deux jours avant son
arrestation !
Manouzi est-il réellement mort ? "En 1994, se souvient un membre de la
famille, la DST nous a informé que Houcine était encore vivant et qu’on
pouvait le récupérer si on évite de faire des déclarations dans la
presse". La promesse est restée sans lendemain. Depuis 1998, les échos
sur la "survie" éventuelle du disparu sont devenus rares, pour ne pas
dire inexistants. "Pour nous, conclut la famille Manouzi, il est vivant
tant que son corps n’a pas été restitué et son identité confirmée par
des preuves scientifiques".